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Sauvetage in extremis de l’île Garth!

Le 10 septembre dernier, coup de théâtre à Bois-des-Filion! Le ministre de l’Environnement, M. André Boisclair, annonce la décision du gouvernement du Québec d’acquérir l’île Garth, une petite île boisée de 18 ha située le long de la rivière des Mille-Îles, au nord de Montréal. Cette décision précipitée fait suite à un jugement rendu en juin par la Cour supérieure obligeant la municipalité à émettre un permis pour la construction d’une résidence sur l’île. Mais point de maison sur l’île Garth, parole de ministre! En raison de sa grande valeur écologique et floristique, cette île sera protégée. Lorsque les procédures d’expropriation seront complétées, elle s’ajoutera au réseau des réserves écologiques du Québec.

Une île, cent îles… Mille Îles
L’île Garth fait partie des 110 îles et îlots qui émaillent la rivière des Mille-Îles. Cette rivière d’une longueur de 40 km environ se situe dans le prolongement du lac des Deux-Montagnes. Des deux rivières qui enlacent l’île Jésus dans l’archipel de Montréal, la rivière des Mille-Îles est celle qui se trouve du côté nord. Lorsque au début de la colonie, les Jésuites explorèrent cette rivière en canot, ils ne semblent pas avoir été séduits par ses paysages. Dans la Relation des Jésuites de 1674, ils rapportent: «nous avons visité le bout d’en haut [de l’île Jésus], d’où descendant par la rivière Jésus l’on ne trouve que mauvais pays tout inondé parsemé des mil Isles».

Si les Jésuites revenaient visiter la rivière des Mille-Îles aujourd’hui, ils ne reconnaîtraient probablement que ses îles. Épargnées par le développement, elles sont demeurées majoritairement à l’état naturel, formant une oasis de verdure dans un milieu fortement urbanisé. Une association régionale, Éco-Nature, veille depuis 1985 à la mise en valeur et à la protection de ce territoire. En collaboration avec les municipalités riveraines, Éco-Nature a créé et gère un parc qui accueille annuellement plus de 125 000 visiteurs à la recherche de calme, de dépaysement et d’activités agréables de plein air. Et on y fait toujours du canot!

L’île Garth échappe à une première menace
En 1986, une firme de consultants entreprend une étude sur la faisabilité d’un projet de développement résidentiel à l’île Garth. C’est dans ce contexte que Louise Gratton réalise une première description de la végétation de l’île. Une visite d’une journée lui permet d’identifier quatre principales communautés forestières: une pinède blanche dans la partie la plus élevée de l’île, une érablière à érable argenté au riche cortège floristique sur les bourrelets riverains, une érablière à érable argenté peu diversifiée dans les parties les plus basses de l’île et une jeune arboraie issue d’un feu au nord-ouest de l’île. Au cours de sa visite, elle note la présence de 25 plantes herbacées, de 21 arbustes et de 22 espèces arborescentes, dont le micocoulier occidental, un arbre rare au Québec. Pour une île aussi petite, cette diversité d’arbres est remarquable. Dans son rapport, Louise Gratton conclut que les peuplements arborescents de l’île Garth sont en excellente condition et que les travaux envisagés pour rehausser les terrains auraient pour effet de les décimer à plus ou moins court terme. Aucune suite n’est donnée au projet de développement. L’île Garth échappe à cette première menace.

Une valeur pour la conservation de plus en plus reconnue
En 1994, un tout autre type d’inventaire est entrepris le long de la rivière des Mille-Îles. Une équipe de botanistes formée d’André Sabourin, Nicole Lavoie, Denis Paquette et Jacques Labrecque a pour mission de localiser les plantes menacées ou vulnérables sur le territoire et de documenter leur habitat. Leur zone d’étude comprend le milieu aquatique, les îles et les endroits du rivage encore occupés par une végétation naturelle. Du 27 juin au 17 novembre, l’équipe inventorie 78 sites, dont l’île Garth. En plus du micocoulier occidental déjà rapporté par Louise Gratton, l’équipe découvre sur cette île trois nouvelles plantes menacées ou vulnérables: Carex typhina (maintenant retiré de la liste des plantes menacées ou vulnérables), l’érable noir et le staphylier à trois folioles. Les populations de ces deux dernières espèces s’avèrent de surcroît de bonne et d’excellente qualité.

Les relevés effectués le long de la rivière des Mille-Îles visent également à identifier les sites prioritaires à protéger, sur la base de critères se rapportant à la flore, à la végétation et aux contraintes pour la conservation. Des 78 sites visités, sept possèdent une valeur botanique et écologique très élevée. Et parmi eux se trouve évidemment l’île Garth.

Peu après, un groupe de travail du ministère des Ressources naturelles reconnaît l’île Garth comme un écosystème forestier exceptionnel (de type refuge d’espèces végétales menacées ou vulnérables). L’érablière à érable argenté et à caryer ovale répertoriée sur l’île pourrait de plus se qualifier comme un écosystème rare. Rare ou pas, les experts considèrent néanmoins que cette érablière à érable argenté constitue un des plus beaux et des plus intègres peuplements de ce type dans le sud du Québec.

Un sauvetage collectif
Bien qu’ayant permis d’identifier les sites présentant le plus d’intérêt pour la conservation, les inventaires effectués le long de la rivière des Mille-Îles ne sont pas les seuls éléments qui ont rendu possible la protection de l’île Garth. En impliquant les municipalités riveraines dans la mise en valeur et la protection des milieux naturels de ce territoire, Éco-Nature a joué un rôle prépondérant. Quand les scientifiques, les organismes du milieu et les municipalités s’entendent sur des priorités de conservation, le gouvernement a-t-il d’autres choix que de suivre le flot de la rivière…. Dans un contexte où les gains pour la conservation deviennent de plus en plus difficiles à faire, il faut se réjouir de la protection de cette île et féliciter toutes les personnes qui y ont contribué d’une façon ou d’une autre. Et parmi celles qui sont mentionnées dans ce texte, vous aurez sûrement reconnu quelques membres de FloraQuebeca!

Référence
Sabourin, A., N. Lavoie, G. Lavoie, F. Boudreau, D. Paquette et J. Labrecque. 1995. Les plantes susceptibles d’être désignées menacées ou vulnérables et les sites à protéger le long de la rivière des Mille-Îles. Gouvernement du Québec, ministère de l’Environnement et de la Faune, Direction de la conservation et du patrimoine écologique.

Line Couillard
ministère de l’Environnement