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Terre des eaux

Eau, tu n’as ni goût, ni couleur, ni arôme, on ne peut te définir, on te goûte, sans te connaître. Tu n’es pas nécessaire à la vie : tu es la vie. (…) Tu es la plus grande richesse qui soit au monde, et tu es aussi la plus délicate, toi si pure au ventre de la terre.

Antoine de Saint-Exupéry, Terre des Hommes.

Le 12 décembre 1997 au Palais des Congrès de Montréal, au terme du Symposium sur l’eau, nous étions quelques centaines de participants à écouter le Ministre de l’Environnement et de la Faune, M. Paul Bégin. Il promettait alors un grand débat publique sur la gestion de l’eau au Québec. Dernière semaine de janvier 1999, ce même ministre annonce qu’à partir du 15 mars prochain, se tiendront sur cette question, des consultations publiques d’envergure nationale.

Que vient faire là-dedans FloraQuebeca, une association qui promouvoit principalement la protection de la flore et des paysages végétaux du Québec?

Lorsque j’ai commencé à m’intéresser aux problèmes environnementaux, dans la fin des années soixante-dix, la société dans son ensemble venait de prendre conscience de l’ampleur de la pollution de l’eau. En guise de réponse, les pouvoirs publiques mirent lentement en place des mesures correctives. Depuis, nées d’ambitieux et coûteux programmes d’assainissement des eaux, de grandes usines d’épuration sont entrées en opération.

Puis, nous sommes passés à autre chose.
Vers la fin des années ’80 et le début des années ’90, un nouveau mot apparaît dans le vocabulaire des environnementalistes : biodiversité. Ici, pour plusieurs, la faune et la flore menacées par la destruction de milieux naturels, les prélèvements excessifs de poissons, d’arbres, ou d’ail des bois, deviennent la principale préoccupation.

Entre temps, des chercheurs découvrent le pouvoir filtrant des communautés naturelles de plantes aquatiques et documentent le rôle des milieux humides dans l’épuration et la régulation de l’eau. D’autres établissent des liens entre l’évantail des débits extrêmes d’un cours d’eau et le couvert forestier. D’autres encore mettent au jour, à l’échelle du bassin versant, les impacts diffus de diverses utilisations du territoire sur la quantité et la qualité de l’eau.

Ces recherches démontrent souvent ce que plusieurs soupçonnaient : les végétaux rendent des services à tout l’écosystème. Ils contribuent à sa productivité, à sa stabilité et à sa diversité.

Des exemples? En voici quelques uns. Le long des rives d’un ruisseau, les arbustes et les arbres qui y poussent stabilisent les berges, procure de l’ombre qui diminue la température de l’eau, fournissent des feuilles mortes, une part de la matière à la base des réseaux alimentaires, des troncs qui abritent des poissons et créent des obstacles qui ralentissent l’eau et contribuent à l’oxygéner. Coupez les arbres, les arbustes : bientôt les berges s’érodent, l’eau se réchauffe, perd de son oxygène, se trouble de sédiments fins; des poissons, des reptiles et des amphibiens disparaissent.

Pour moi, c’est clair comme de l’eau de roche : la flore, la faune et l’eau sont indissociables. Les traiter séparément relève de l’hérésie. En conséquence, nous voilà armés d’arguments de poids pour prévenir la destruction de milieux naturels. Pour défendre les tourbières riches de plantes menacées, nous pouvons désormais affirmer qu’elles fournissent de l’eau! Pour défendre les méandres et leurs plaines inondables : ils stabilisent les débits! Pour défendre les marécages et les herbiers aquatiques : ils nettoient l’eau!

Patrick Nantel, président
Volume 4 numéro 1, Printemps 1999