Les Américains Paine, Allen et Edmondson découvrent des plantes rares au Québec au 19e siècle
Importance des récoltes historiques
Au cours du 19e siècle, plusieurs arrivants des îles Britanniques ont herborisé au Québec et expédié leurs récoltes dans leurs contrées d’origine. D’autres venant des États-Unis ont fait de même dans les herbiers du nord-est américain. C’est ainsi qu’aujourd’hui, herboriser dans les herbiers s’avère souvent un lieu de découvertes de plantes rares. Les herbiers du Québec ont été depuis longtemps ratissés, mais les collections étrangères recèlent encore plusieurs trésors de la flore d’ici. Les botanistes Bill Dore et Bernard Boivin prétendaient qu’on pouvait écrire une flore de l’est du Canada juste en consultant les herbiers anglais, écossais et irlandais.
Les herbiers du nord-est américain, particulièrement ceux de Cambridge (GH), de New York (NY) et de Philadelphie (PH), comprennent plusieurs récoltes d’ici. Leurs récolteurs, souvent botanistes amateurs, n’ont été que de passage au Québec, en villégiature, en exploration ou en stage de formation, alors que d’autres ont séjourné plus longtemps. Dans la majorité des cas, leurs récoltes ont été ignorées et n’ont par conséquent jamais été recensées. Les noms de certains d’entre eux apparaissent dans la littérature, mais la plupart demeurent de parfaits inconnus.
Il arrive parfois qu’une récolte ancienne ait été sélectionnée par un spécialiste pour devenir le type d’un taxon nouveau. Il peut s’agir aussi de la seule mention d’une espèce menacée ou vulnérable pour une localité ou région du Québec, d’une addition importante ou d’une extension d’aire. L’urbanisation et ses ravages laissent croire que la population de cette espèce a disparu. Sait-on jamais, elle n’est peut-être pas extirpée, et il vaudrait la peine de fouiller pour la retrouver. Il se peut aussi que la connaissance d’une récolte ancienne disparue d’un endroit mette sur la piste d’une espèce compagne rare, à rechercher. En d’autres occasions, il peut s’agir de la première mention d’une espèce introduite en Amérique.
La simple récolte d’un inconnu peut ouvrir plein d’horizons, susciter des découvertes et faire ressortir des liens entre divers personnages, botanistes ou amateurs. Tel spécimen dans tel herbier peut également nous apprendre du nouveau, même si son récolteur est un botaniste connu. Le but de ce qui suit est d’éveiller la curiosité, de susciter des questions et de suggérer des endroits où herboriser, et des herbiers à inventorier. Les trois personnages retenus ont récolté au Québec entre 1816 et le début du 20e siècle, et certaines de leurs récoltes constituent des primeurs pour des espèces menacées ou vulnérables.
Paine et Neobeckia aquatica
La consultation de certains travaux des botanistes anglais William Jackson Hooker (1) et américains Jacob Bigelow (2) et John Torrey (3) m’avait mis sur la piste d’un certain “Dr. Paine” qui avait récolté près de Montréal autour de 1820. Tout ce que je savais se résumait aux mentions qui suivent. D’abord, deux espèces de graminées citées à la fois par Hooker (1) et Torrey (3): Milium effusum “near Montreal, Dr. Paine” et la suivante dont j’ai retracé un exemplaire à NY: “Trisetum purpurascens Torrey, n. sp. near Montreal”. Cette dernière récolte est l’une des quatre citées par Torrey comme syntypes de sa nouvelle espèce Trisetum purpurascens, qu’on connaît mieux maintenant sous le nom de Schizachne purpurascens. Hooker (1) la citait sous Avena striata, un binôme de Michaux maintenant abandonné. Je n’ai pas retracé les trois autres syntypes à NY, et il semble que seule la récolte de Paine existe encore. Toutefois d ’autres vérifications restent à faire.
Paine a également récolté près de Montréal un autre syntype d’une graminée décrite par Torrey:“Poa aquatica var. americana Torrey, n. var.”, qui correspond maintenant au Glyceria grandis (3). Je n’ai pas encore retracé le spécimen à NY. L’examen de l’Herbier de NY a permis de faire une découverte intéressante sur le plan historique. Il s’agit sans doute de la plus ancienne récolte au Québec de cette crucifère palustre: “Armoracia aquatica [= Neobeckia aquatica]: Montreal, Dr. Paine”. Cette espèce menacée ou vulnérable est limitée au sud et à l’ouest du Québec. Les dernières récoltes de la région de Montréal datent de 25 ans et plus.
Paine a également envoyé des spécimens de la région de Montréal à Jacob Bigelow qui les mentionne dans la deuxième édition de son Florula Bostoniensis (2). On y retrouve un Rubus setosus et un Uraspermum hirsutum, drôle de nom pour ce qui semble être Osmorhiza longistylis. Bigelow indique dans son livre que c’est Paine qui lui a expliqué la différence entre cet U. hirsutum et U. claytonii (Osmorhiza claytonii). Paine et Bigelow ont dû se connaître lorsque le premier faisait ses études dans la région de Boston, comme on le verra plus loin.
Les renseignements sur ce botaniste restent limités. Martyn Paine (1794-1877) fut un médecin américain très célèbre (4). Il est né au Vermont, a fait ses études à l’Université Harvard et a été reçu médecin en 1816. Cette année-là, il s’amène à Montréal pour pratiquer la médecine et y réside durant six ans. Ses récoltes de Montréal se situeraient donc entre 1816 et 1822. Il ne semble pas avoir continué d’herboriser après son séjour à Montréal.
Par la suite, il s’installe à New York et y demeure jusqu’à son décès. Avec des collègues, il fonde en 1841 l’École de Médecine de l’Université de New York et y enseigne jusqu’en 1867 (5). En 1832, une épidémie de choléra le fait connaître du public, et il publie sur le sujet. Entre 1832 et 1872, il écrit au moins huit livres, dont la plupart en médecine. Un de ceux-là comprend trois volumes: “Medical and Physiological Commentaries”. Un autre traite de géologie et son dernier livre publié en 1872 est difficile à classer car il semble toucher autant à la philosophie qu’à la physiologie. Jugez-en par vous-mêmes:
On the soul and instinct physiologically distinguished from materialism, with supplementary demonstrations of the Divine communication of the narratives of creation and the flood.
Dans la seule lettre de Paine adressée à Torrey (1856) et conservée aux Archives du Jardin botanique de NY, il n’est pas question de botanique, mais plutôt de condoléances pour un décès qui aurait affecté Torrey. Paine y cite des extraits de la Bible.
On retrace à l’occasion des spécimens d’un autre Paine qui demeurait lui aussi dans l’État de New York. Il s’agit de John A. Paine Jr. (1840-1912), qui a publié sur la flore du comté d’Oneida (6).
Allen et Gnaphalium norvegicum
Ce John Alpheus Allen (1863-1916) était encore aux études à New Haven au Connecticut quand il a participé à une expédition multidisciplinaire en Gaspésie en 1881. Ils ont exploré la portion orientale des Chic-Chocs, dont le mont Albert, ainsi que certaines localités comme Sainte-Anne-des-Monts et Matane. L’année suivante, Allen aurait herborisé sur la Côte Nord, près de Blanc-Sablon, et peut-être aussi au Labrador. Les données botaniques de cette expédition de 1882 n’ont pas été publiées, mais Harold St. John en signale les principales trouvailles (7). La collection de saules récoltés était remarquable et fut examinée par le spécialiste du temps, Michael Schuck Bebb. Après diverses péripéties, ces spécimens ont finalement abouti à Chicago. La plupart des récoltes d’Allen sont cependant déposées à l’Herbier Gray (GH).
L’expédition de 1881 en Gaspésie est mieux connue. Allen est responsable de plusieurs primeurs parmi les plantes rares de cette région. Il a devancé John Macoun d’un an au mont Albert et a publié en 1883 un compte-rendu de ses découvertes (8). Il mentionne que même si les montagnes de la Gaspésie sont moins élevées que celles de la Nouvelle-Angleterre, la portion alpine y est plus étendue. Il est impressionné par les combes à neige encore visibles au mois d’août. Il a fait vérifier ses plantes par divers botanistes dont William Boott (Carex), George Engelmann (joncs), George Vasey (graminées) et Sereno Watson pour les autres.
Dans sa liste qui comprend 59 espèces (8), on retrouve plusieurs raretés pour le mont Albert: Asplenium aculeatum var. scopulinum [= Polystichum scopulinum], Festuca scabrella [= F. altaica], Gnaphalium sylvaticum var. norvegicum [= G. norvegicum], dont j’ai retracé un double à PH (Mt. Albert, 4-VIII-1881, J.A. Allen), et Pellaea densa [= Aspidotis densa]. Allen cite un Arnica mollis; il s’agit probablement d’Arnica lanceolata. Parmi les autres récoltes intéressantes figurent Cystopteris montana, plusieurs autres nommées “Arenaria”, dont peut-être le Minuartia marcescens, un bon nombre de saules et un Danthonia sericea [= D. intermedia]. Il a herborisé sur la montagne de la Table (Table-Top) et aux alentours, et y a trouvé Lonicera involucrata et Salix vestita. Il constate que plusieurs espèces boréales, comme Dryas drummondii, colonisent les platières de la rivière Sainte-Anne. Près de la côte, à Sainte-Anne-des-Monts, il a récolté une autre rareté: Arnica alpina, qui correspond peut-être à A. lanceolata ou à A. lonchophylla subsp. lonchophylla; il faudrait vérifier à l’Herbier Gray. Enfin, près de Matane, il découvre deux espèces peu fréquentes: Astragalus oroboides var. americanus [= A. eucosmus] et Plantago eriopoda.
Edmondson et Rhynchospora capillacea
Thomas William Edmondson (1869-1938) a fait des trouvailles intéressantes au Québec, parmi lesquelles figurent deux espèces menacées ou vulnérables. Les récoltes retracées à NY sont Rhynchospora capillacea (Montmorenci natural steps, 31-VIII-1904, T. W. Edmondson 3129) et Platanthera flava (Sutton, 8-VII-1905, Edmondson 8338; Cookshire, Angus Road, 20-VIII-1914, Edmondson s.n.). D’après Jacques Labrecque du ministère de l’Environnement du Québec, Edmondson serait le co-découvreur de Rhynchospora capillacea au Québec, Fernald l’ayant trouvé en Gaspésie également en 1904. Quant aux spécimens de Platanthera flava pour les Cantons de l’Est, leur vérification est en cours.
Edmondson a également herborisé en Ontario, où il a récolté des plantes intéressantes comme Allium canadense (Leeds Co., O’Grady’s bush, Rideau Ferry, 29-VI-1898, T. W. Edmondson 1188, NY). Cette localité n’a pas été répertoriée par Bill Dore dans son étude sur la répartition de cette espèce dans l’est du Canada (9).
J’ai eu de la difficulté à documenter ce personnage, parce que ce n’est pas un professionnel de la botanique. Par contre, c’est tout un expert dans son domaine, les mathématiques. Il est né en Angleterre et gradue en mathématiques à un collège associé à l’Université de Cambridge (10). En 1894, il s’amène aux États-Unis et obtient en 1896 un doctorat de l’Université Clark. La même année, il est engagé comme professeur à l’Université de la ville de New York. L’année suivante, il épouse une Anglaise de son Yorkshire natal, et le mariage a lieu à Perth en Ontario. C’est peut-être ce qui explique sa venue fréquente au Canada par la suite, particulièrement au Québec. Ses domaines de spécialisation en mathématiques et en physique sont tellement pointus que je n’ai pas osé les traduire: “spark discharge in dielectrics; theory of potential; spherical harmonic analysis; theory of curves; elliptic functions” (11). Il publie des livres sur ces sujets entre 1891 et 1901. Il se distingue comme professeur de mathématiques jusqu’en 1934 et est responsable des études graduées de son département.
Dans une notice biographique, on mentionne que ses intérêts particuliers sont la photographie, les livres rares et la botanique (10). Ce sont là également les occupations principales de mes deux collègues et néanmoins (!) amis Jacques Labrecque et Frédéric Coursol. Vers la fin de sa vie, il a publié une note sur sa découverte du Solidago calcicola à Métis, ce qu’a confirmé Fernald (12). Mon père a déjà mentionné qu’un autre Américain, Ellsworth Jerome Hill (1833-1917), avait trouvé ce taxon au Saguenay en 1888 et que l’identification lui semblait correcte (13). Mais à quoi correspond ce Solidago calcicola au juste? Bernard Boivin le considère comme un hybride impliquant S. macrophylla et S. canadensis ou S. rugosa. Il semble très rare; à DAO, on n’a qu’une photographie d’un spécimen provenant de Terre-Neuve.
À son décès, Edmondson lègue son herbier de 9000 spécimens à NY. On retrouve aussi quelque 75 récoltes à Kew et des spécimens à GH.
Ces quelques exemples qui résultent de l’herborisation dans des herbiers illustrent bien les découvertes qu’on peut y faire. Combien d’autres restent à découvrir? J’y travaille …
Références
1. Hooker, W.J. 1839. Flora Boreali-Americana.Vol. II. Part 11. Pages 199-240. Reprint, Cramer, 1960. New York, Hafner.
2. Bigelow, J. 1824. Florula Bostoniensis. Second edition. Boston. 423 p.
3. Torrey, J. 1824. Flora of the Northern and Middle sections of the United States. Vol. 1. New York, 518 p.
4. Anonyme. 1901, 1909. Paine, Martyn. Page 551. In The National Cyclopedia of American Biography. Vol. XI. University Microfilms, Ann Arbor, Michigan,1967. 589 p.
5. Hough, F.B. 1885. Historical and statistical record of the University of the State of New York during the century from 1784 to 1884. Albany. 867 p.
6. Paine, J.A. Jr. 1865. Catalogue of plants found in Oneida County and vicinity. Eighteenth Annual Report of the Regents of the University of the State of New York. Part C. Pages 53-192.
7. St. John, H. 1922. A botanical exploration of the north shore of the Gulf of St. Lawrence including an annotated list of the species of vascular plants. Memoir 126, no 4. Canada, Victoria Memorial Museum. Ottawa. 130 p.
8. Allen, J.A. 1883. Alpine flora of the Province of Quebec. The Canadian Naturalist and Quarterly Journal of Science. New Series, 10: 417-419.
9. Dore, W.G. 1971. Canada Onion: its method of spread into Canada. Naturaliste canadien 98: 385-400.
10. Anonyme. 1954. Edmondson, Thomas William. Page 205. In The National Cyclopedia of American Biography. Vol. XXXIX. University Microfilms, Ann Arbor, Michigan,1967. 623 p.
11. Anonyme. 1938. Edmondson, Prof. T(homas) W(illiam). Pages 402-3. In American Men of Science. A Biographical Directory. Edited by J. M. & J. Cattel, 6th edition. New York. 1608 p.
12. Edmondson, T.W. 1928. Solidago calcicola in Matane Co., Quebec. Rhodora 30: 157.
13. Cayouette, R. 1968. Études sur la flore du Saguenay. I. Commentaires sur un article et sur des récoltes de E. J. Hill. Naturaliste canadien 95: 177-186.
Jacques Cayouette, pour FloraQuebeca.
Août 2001.