Certaines plantes sont rares et menacées au Québec. Ceci n’est en rien un mystère pour les habitués de FloraQuebeca. On sait que ces plantes appartiennent essentiellement à deux catégories: les espèces inféodées à des milieux particuliers, comme les tourbières ou les marais intertidaux du golfe du Saint-Laurent, et les espèces en limite périphérique de leur aire de répartition (1). Le point commun à ces deux cas de figure réside dans le fait que les populations concernées sont le plus souvent isolées et présentent des effectifs faibles. On connaît relativement bien les menaces que les activités humaines, notamment, font peser sur de telles populations. Mais que sait-on des causes naturelles qui les ont amenées là, dans ces situations inconfortables qui nécessitent aide et protection de notre part?
Pas grand-chose à vrai dire. Il est pourtant possible, sinon de répondre, du moins d’apporter des éléments de réponse à cette question, en recherchant des indices de leur présence passée au sein d’archives naturelles. Les meilleurs indices, ce sont les macrorestes: graines, fruits, feuilles, bois… Et les archives? C’est malheureusement ce qui constitue la principale limite de la méthode. Il faut en effet qu’elles soient stratifiées, pour permettre la datation, et défavorables à la décomposition, pour permettre la conservation des macrorestes. Il n’y a guère que les lacs et les tourbières qui présentent de telles conditions. Mais, par chance, ce sont deux milieux plutôt riches en espèces rares.
Une étude menée dans le but de reconstituer les fluctuations passées du niveau d’eau du lac Hertel, sur le mont Saint-Hilaire (2), a permis d’exhumer des macrorestes de plantes aujourd’hui inconnues sur le site (3). Un certain nombre d’entre eux appartiennent à des espèces arctiques-alpines qui étaient présentes autour du lac il y a environ 13 000 ans: la dryade à feuilles entières (Dryas integrifolia), le phyllodoce bleu, la renouée vivipare, le saule herbacé et la saxifrage à feuilles opposées. Leur disparition locale est directement liée à l’amélioration du climat, qui a permis la remontée des formations végétales vers le nord (4) et l’installation de formations tempérées nordiques dans les basses terres du Saint-Laurent (5).
L’analyse des macrorestes atteste, à des périodes beaucoup plus récentes, la présence de quatre autres taxons non mentionnés aujourd’hui sur le mont Saint-Hilaire (2): le cératophylle épineux, le décodon verticillé, la naïade de Guadeloupe et la nymphée odorante. Les graines de naïade de Guadeloupe sont de loin les plus abondantes. Elles ont été trouvées de manière sporadique dans la plus grande partie du profil sédimentaire, les plus anciennes datant approximativement de 6400 ans et les plus récentes de… 150 ans! La persistance de cette espèce pendant plus de six millénaires au sein du lac suggère qu’elle pourrait y être encore présente, mêlée aux importantes populations de naïade flexible qui s’y développent. Dans le cas contraire, sa disparition serait nécessairement très récente. Les trois autres taxons, beaucoup moins abondants, ne furent trouvés qu’à un exemplaire: une graine de décodon verticillé vieille de 5500 ans, une autre de cératophylle épineux âgée de 4500 ans et une troisième de nymphée odorante estimée à 2600 ans.
Trois de ces espèces sont actuellement en situation précaire au Québec méridional: le décodon verticillé, le cératophylle épineux et la naïade de Guadeloupe (6, 7, 8). Leurs mentions subfossiles dans le lac Hertel pourraient révéler des modifications passées de leur aire de répartition, peut-être induites par des variations climatiques. Des observations similaires dans d’autres lacs sont toutefois nécessaires pour évaluer l’importance de ces modifications et déterminer si la tendance naturelle de ces espèces est plutôt à la réduction ou au contraire à l’expansion de leur aire de répartition.
Références
1. Boudreau, F. & Couillard, L., 2001. Quinze autres plantes désignées menacées. Flora Quebeca, 6 (1): 8-9.
2. Muller, S.D., Guiot, J., Richard, P.J.H., Beaulieu, J.-L. de & Fortin, D., soumis. Postglacial climate dynamics in the St. Lawrence lowlands, southern Québec: pollen and lake-level evidence.
3. Maycock, P.F., 1961. Botanical studies on Mont St. Hilaire, Rouville County, Quebec. Canadian Journal of Botany, 39, 1293-1325.
4. Richard, P., 1977. Histoire post-wisconsinienne de la végétation du Québec méridional par l’analyse pollinique. Service de la recherche, Direction générale des forêts, ministère des Terres et Forêts du Québec, 478 p.
5. Muller, S.D. & Richard, P.J.H., sous presse. Postglacial vegetation migration in conterminous Montréal lowlands, southern Québec. Journal of Biogeography.
6. Bouchard, A., Barabé, D., Dumais, M. & Hay, S., 1983. Les plantes vasculaires rares du Québec. Syllogeus 48, Musées nationaux du Canada, Ottawa, 79 p.
7. Lavoie, G., 1992. Plantes vasculaires susceptibles d’être désignées menacées ou vulnérables au Québec. Ministère de l’Environnement, Québec, 180 p.
8. Marie-Victorin, E.C., 1995. Flore Laurentienne – 3e édition. Les Presses de l’Université de Montréal, Montréal, 1083 p.
Serge D. Muller